9-Lettre ouverte à Gilles Deléris

W&Cie
7 min readMay 18, 2020

Gonneville, le 13 mai 2020

Mon Gillou,

Merci pour ta belle lettre qui dit ton engagement pour la cause des Femmes avec un grand F, assurément. Tu sais combien je partage ce combat. W peut d’ailleurs être fier d’avoir été aux côtés de Solidarité Femmes pour le film sur le 39191, d’avoir soutenu Celles de la Terre2, ce tour du monde de trois étudiantes parties à la rencontre de femmes d’exception, d’avoir soutenu le projet « Hommes d’équipage3 » la sculptrice Cécile Raynal, d’avoir accompagné Laurence Equilbey à la création de son orchestre Insula Orchestra. Heureusement, les choses bougent et de plus en plus de femmes font mentir Delphine Seyrig quand elle disait que

« Les femmes ne sont jamais de grands artistes » (c’était en 1972, et elle en faisait le constat avec désespérance). Et puis il y a la Marianne des JO, qui grâce à toi et à une belle équipe W, sera l’objet de toutes nos attentions jusqu’en 2024.

Nous allons bientôt nous retrouver physiquement dans d’étranges conditions. Cette lettre est donc la dernière d’une correspondance qui a été riche, inattendue, et surtout augmentée des multiples contributions reçues, notamment de la part des équipes de W. Quelle fierté d’avoir à nos côtés autant de talents complémentaires. Chacun a montré son souci de l’avenir de nos métiers et sa passion pour le « ensemble » qui nous est si cher.

Je me souviens avoir échangé récemment avec toi sur nos livres d’enfance. Il y en avait un qui nous passionnait tous les deux alors que nous n’avions pas encore associé nos curiosités. Il s’intitulait « Dis pourquoi ». Tu t’en souviens ? Il en existe encore une édition chez Hachette4.

Je te parle de ce livre parce que son intitulé correspond à ce que je ressens après deux mois de confinement et de remise en cause profonde du monde d’avant. Il me semble, en effet, que nous devrions laisser monter nos « pourquoi » et bien nous garder d’asséner des réponses définitive ou pire de croire qu’il n’y a pas vraiment à se poser de question puisqu’un jour ou l’autre tout reviendra à la normale…

Aussi j’aimerais te soumettre quelques-uns de mes « pourquoi ». Je compte sur toi (comme toujours), sur ceux qui voudront bien nous lire, sur nos clients et les équipes de W pour y apporter des débuts de réponse.

Pourquoi les agences existeront encore demain ?

Nous avons partagé, au fil de nos lettres, les interrogations qui traversent nos métiers. Je n’y reviens pas. Comme tu le sais, avant de te rencontrer, j’étais comme on dit de l’autre côté de la barrière, étant dans la position du client qui faisait travailler de nombreuses agences, sélectionnées avec soin.

Ces années d’observation m’ont donné la passion du métier mais aussi et surtout la conviction qu’une agence était irremplaçable. Pourquoi ? Parce qu’elle permet dans l’entreprise d’affronter le fléau des impossibles. Le jeune Dir com que j’étais remerciait tous les jours les agences qui m’aidaient à dynamiter les ça ne marchera jamais de tout poil. Voilà pourquoi j’ai réagi au petit coup de moins bien de Maurice Lévy5 car, pour les temps qui s’ouvrent : « il ne faudra pas en vouloir aux agences si elles pensent plus en rêve qu’en possible », car c’est leur raison d’être, et ce sera bon pour l’entreprise, bon pour la relance et excellent pour l’économie.

Pourquoi le télétravail ne fait pas tout ?

Le confinement nous a fait faire un bond salutaire sur le télétravail. Mais le bilan reste à faire. Meka Brunel, Directrice Générale de Gecina, invite à la vigilance : « Si la situation actuelle nous amène à repenser notre espace de travail, il faut aussi veiller à préserver notre espace de repos, dédié à la famille, à l’intime : la maison ! » Après le « c’est génial, ces zoom et ces teams en cascade », les médecins tirent la sonnette d’alarme, le télétravail à dose massive entraîne des ruptures de rythme biologique, une augmentation des addictions et des détresses psychologiques sévères.

Pourquoi garder des bureaux ?

Je le redis, les agences vont être plus que jamais indispensables pour accompagner les entreprises et les marques à se forger un imaginaire attractif, ancré dans leur raison d’être et leur mission. Mais faut-il pour cela des locaux, des bureaux, des open spaces, des machines à cafés, des baby-foot et des loyers ? Sais-tu Gilles, qu’un Français sur deux souhaite rester chez lui ou ne retourner qu’en partie sur son lieu de travail6. L’attestation Covid nous a rappelé pendant deux mois que nous avions une date de naissance et une adresse où notre corps devait être confiné — Tu prends la chambre, je prends le salon. Non je reste dans la cuisine, j’ai du Wifi « Zgougou 5G EXT », c’est bien ça l’adresse ?

Où allons-nous placer le poids du corps ? J’emprunte cette expression chorégraphique à la bande passante de la novlangue communicante. Être ou ne pas être là ? Telle est la question. Les bureaux de demain seront-ils les bureaux d’hier ? Rien n’est moins sûr. L’open space, l’armoire métallique, le flex-office impersonnel ont du plomb dans l’aile et c’est tant mieux ! Mais qu’allons-nous proposer à nos clients en matière d’architecture ? De quels espaces avons-nous besoin pour faire agence ? Estelle dans sa contribution7 nous donne de précieux éléments de réponse. « Le déconfinement devra permettre de recréer du lien, et les lieux devront offrir les conditions propices à cette rencontre d’un nouveau genre. Une fois la survie et la sécurité assurées, le besoin de rétablir le lien social et le sentiment d’appartenance devront être assouvis. »

Ne jetons pas trop vite les bureaux avec l’eau du virus. Comme au retour des vacances d’été, nous allons avoir envie de tout changer, attendant des lieux qu’ils nous aident à nous retrouver et à trouver. À nous retrouver parce que l’interaction, le contact physique, les échanges de regard et de bons mots sont indispensables aux êtres sociaux que nous sommes. À trouver parce que notre métier consistera toujours à chercher et trouver des idées et des solutions nouvelles et que, fondé sur la confiance et la responsabilité, il nous imposera de proposer de nouvelles formes de présence, dans de multiples espaces : créativité, convivialité, silence, repos, détente… Espérons que le port du masque dure le moins longtemps possible, car « La réciprocité des échanges au sein du lien social implique l’identification des visages support essentiel de la communication8 ».

Pourquoi rester à Paris ?

Comme tu le sais, pendant le confinement, j’ai sillonné la campagne en VTT tout en apprenant de la poésie. Les vaches ont été à peine étonnées d’entendre du Verlaine, Desbordes-Valmore ou Victor Hugo. Il dit d’ailleurs bien les choses « l’admirable toto », écoute plutôt :

Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou.

Nous fuirions ; nous irions quelque part, n’importe où,

Chercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses…

Et le poème se termine par la description d’un lieu de rêve

Un coin où nous aurions des arbres, des pelouses ;

Une maison petite avec des fleurs, un peu

De solitude, un peu de silence, un ciel bleu,

La chanson d’un oiseau qui sur le toit se pose,

De l’ombre ; — et quel besoin avons-nous d’autre chose ? »

Oui au fait, quel besoin avons-nous d’autres choses ?

Et les questions s’enchaînent : Pourquoi imposer de prendre les transports en commun aux heures de pointe ? Pourquoi passer des heures dans les embouteillages pour aller voir des clients ? Pourquoi garder une voiture en ville ?

Que vont devenir le Grand Paris et la densification verticale programmée ? Allons-nous revenir aux villes en doigts de gant des années 60, avec les multiples modes de transport associés ? L’utopie d’Alphonse Allais va peut-être se réaliser : des villes connectées et autosuffisantes à la campagne. Il y a fort à parier que le Covid chamboule l’urbanisme vertical et fasse tomber la dictature de l’urgence qui règne à Paris.

Je t’avais prévenu, il y a beaucoup plus de questions que de réponses. Mais je suis convaincu que nous avons une réflexion à mener sur le lieu où nous voulons travailler et bien vivre, vivre et mieux travailler.

L’excellente contribution de Valentin le dit bien « ça n’a vraiment plus aucun sens de choisir un petit appart dans un quartier bof ou dans une ville qu’on n’aime pas tout ça juste parce que la boîte y a son siège. J’ai envie de réfléchir à l’endroit où j’ai envie de bâtir mon fief plus que de booker un appartement pour les deux prochaines années… » Révélateur non ? Le Contributing appliqué à l’agence passera par de nouvelles possibilités offertes aux équipes d’organiser leur espace et temps de travail comme elles le souhaitent.

Voilà, mon cher Gilles les questions que j’avais envie de te poser, de nous poser. Relisant tes quatre lettres au soleil du matin, je me dis que, décidément, l’association entrepreneuriale est une bien belle aventure9, en particulier dans les moments que nous vivons. La phase de l’après-catastrophe commence. Elle sera fertile, car elle nous imposera de changer les choses. Pour cela, gardons-nous de l’esprit de sérieux qui nous ferait quitter notre condition, celle de modestes artisans de l’imaginaire. Noblesse exclusive des agences, elle n’exige aucun titre, sinon celui d’avoir conservé l’enthousiasme, la fraîcheur et une âme d’enfant. Et ça tombe bien. Car comme tu le sais, seuls « les enfants savent ce qu’ils cherchent10 »

Alors, cher Gilles Dis Pourquoi et vive la vie ! Je t’embrasse. À très vite.

Denis

(1) https://www.youtube.com/watch?v=Vl_DByWbKNQ

(2) https://celles-de-la-terre.com/notre-equipe/

(3) Cécile Raynal

https://www.youtube.com/watch?v=rNeYnIcD5RI

(4) https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/1672600597/dis-pourquoi-500-questions-1000-reponses-cecile-aubry-de-christiane-anglade.html

(5) https://www.strategies.fr/blogs-opinions/idees-tribunes/4044577W/-alors-revons-maintenant-denis-gancel-agence-w-.html

(6) Sondage Ifop Fiducial pour le JDD

(7) Estelle https://medium.com/@Wagency/correspondance-destelle-mege-%C3%A0-denis-gancel-etgilles-del%C3%A9ris-1fe3cc33dca5

(8) David Le Breton Le Monde 12 mai 2020

(9) https://www.strategies.fr/blogs-opinions/chroniques/4013915W/associes-pour-la-vie.html

(10) Le Petit Prince Antoine de St Exupéry

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